Retrouvez les reportages photo sur la photothèque en ligne.
De nombreuses personnalités ont tenu à saluer Lucien Clergue, le grand photographe, l’Arlésien et l’homme. Voici leurs témoignages.
« Avec la disparition de Lucien Clergue je perds un ami très cher. Je lui dois beaucoup. Avec sa simplicité et sa grande gentillesse, il m’a appris à découvrir le monde tel qu’il le voyait et sa générosité. Il avait le souci permanent et militant de servir les autres, les jeunes en inspirant la création de l’École supérieure de la photographie, Arles, sa ville, qu’il a portée au prestige de devenir capitale mondiale de la photographie avec les Rencontres Internationales, les photographes avec la reconnaissance de la photo comme un des Beaux-Arts en étant élu à cette Académie. Grand voyageur, ami de Picasso, de Cocteau, de Manitas de Plata, il ne nous quitte pas et reste présent,
« Urbi et Orbi » dans la ville d’Arles et dans le monde avec une œuvre immense qui marque l’histoire de la photographie. »
Michel Vauzelle, député et président du conseil régional Provence-Alpes-Côte d’Azur
« Combien d’enfants d’Arles et d’ailleurs ont grandi grâce à ses conseils ! Il aimait profondément les artistes et a défendu sa conception de la photo avec rage. »
François Hébel, directeur des Rencontres de la photographie de 1986 à 1987 et de 2001 à 2014
« Il aimait beaucoup qu’on le caricature. Quand je lui donnais un dessin le représentant, il s’esclaffait et me disait invariablement : « Ah que tu es con ! » ce qui chez lui était une marque d’affection. » Bruno Heitz, auteur et illustrateur
« En 1970, je m’apprêtais à « monter à Paris » comme dessinateur de presse débutant. Monsieur Clergue me confia alors la création du logo de sa maison de production « Arelatis ». Il me gratifia d’un chèque qui me permis de survivre un bon mois dans la capitale; et avec ça les téléphones de toutes ses connaissances parisiennes. Solidaire, il l’était avec tous les Arlésiens qu’il pouvait aider.
« J’aime les hommes qui ne ressemblent qu’à eux-mêmes » disait Yvan Audouard.
Qu’on l’ait aimé ou pas, il faut reconnaître que Lucien Clergue était de ceux-là. Fidèle à lui-même mais aussi fidèle à sa ville dont il a changé l’image.
Pour « Née de la vague », pour « Toros muertos » pour ta vision de la Camargue, merci Lucien. On ne peut plus voir notre pays autrement qu’avec ton oeil. »
Jean-Pierre Autheman, auteur, dessinateur de presse, professeur à Supinfocom.
« Décembre 2013, pour l’inauguration de l’exposition Revoir Réattu : Lucien face à l’une de ses photographies, l’instant d’une conversation, les sourires complices devant la parfaite symétrie d’une perspective intitulée Camargue, géographie torride d’un nu dont il commentait la pathologie d’un dos démesuré tandis que Christian s’interrogeait sur l’identité du modèle… Affaire de vertèbre, clin d’oeil à l’Odalisque D’Ingres, destin d’académicien, un instant résolument vivace ! »
Pascale Picard, directrice du musée Réattu
« Lucien, tellement humain !
Cette magnifique obstination, cette foi débordante en l’art en général, et en la photographie en particulier ; sans oublier la musique (je me souviens d’une soirée chez toi avec la radio en direct du Festival de Salzbourg à l’été 1978) ; cette certitude que c’était ça l’essentiel.
Tu es toujours resté toi-même ; tu as gardé ton bel accent. Tu parlais aussi très bien et très naturellement anglais ; et c’est peut-être pour cela que tu as d’abord été apprécié par les esthètes américains, avant les français. Tu n’hésitais pas à raconter ta jeunesse difficile, très loin de celles d’autres photographes. Tu as été trop vivant pour ne pas le rester dans nos cœurs… Qui d’autre m’appellera « ma belle quique » ? »
Marie José Justamond, directrice du Festival Les SUDS, à Arles
Recrutée par Lucien Clergue en 1977, elle a travaillé aux Rencontres de la Photographie en tant que responsable de la communication jusqu’en 1990.
« J’ai rencontré Lucien Clergue pour la première fois dans les années 90 dans une galerie parisienne. Puis je l’ai revu, en juillet dernier, chez lui. Il m’a m’a donné un certain nombre de recommandations concernant les Rencontres. Et notamment celle de continuer à les défendre, car rien n’est jamais acquis. Ce fut comme un passage de témoin. Lui a gagné l’éternité grâce à cette œuvre, à nous, amoureux de la photo, de nous inscrire dans cette histoire. »
Sam Stourdzé, directeur des Rencontres internationales de la photographie
Lucien. Le glas que je connais si bien est en train de sonner pour toi à Arles. Et c’est pourtant ta voix que j’entends, posée, enjouée et élégante quand elle raconte, comme au long du mur d’images des Rencontres aux Ateliers cet été, ou exténuée, récemment, cherchant son souffle avec fatalité. Quinze heures et quelques donc. Avec le monde entier, la ville est en train de te dire « au revoir », de te rendre hommage, de méditer sur ton travail. (Au fait, quelle aura été la dernière photo de cette œuvre en point d’orgue ?) On me dit que même les palissades de Saint-Trophime et les portes du Grand Prieuré des Chevaliers de l’Ordre de Malte ont pris le deuil, peintes de noir. Et que le soleil brille comme aux étés de 44 ans de ces « Rencontres » qui redonnèrent tant de vigueur avec Tournier, Rouquette et toi à cette place de la République, à celle du Forum, à la cour de l’Archevêché et partout alentour. Mais je suis à Paris, le cœur très serré. Alors à défaut d’être avec tous tes amis « là-bas », je me fait ma messe à moi. Et on se parle.
La première fois qu’enfant, à la fin des années cinquante, j’ai vu une photo en noir et blanc accrochée au mur d’une galerie ou d’un musée, sans doute le musée Réattu, comme un tableau, une toile, une peinture, elle était de toi. Je me souviens encore en avoir éprouvé toute la modernité. Mais aussi l’évidence.
Et cette sensation, cette émotion, ce choc, je les ai ressentis plus de cinquante ans après devant le bel accrochage des « Clergue d’Arles » en juillet, au même endroit, avec la même intensité, une acuité peut-être encore décuplée par le temps.
En fait ces images étaient (et semblent toujours) de la peinture, de l’encre, presque de la calligraphie. Mais par dessus tout c’est une contemporaine alchimie de papier, de gélatine, de bromure d’argent… etc… Les ingrédients de la photo « moderne » que tu fis élever au statut de chef-d’oeuvres dignes des cimaises les plus prestigieuses.
Je te revois, début soixante, avant la gloire, crinière léonine, regard d’insecte curieux démultiplié par tes lunettes fumées doublant les objectifs de tes appareils, élégant, autoritaire, drôle, angoissé, obsédé.
Nous ne nous connaissions pas encore bien sûr mais nous avions les mêmes obsessions. Bien qu’enfant tes « charognes » m’impressionnaient. Elles m’envoûtaient. Et ma grand-mère, qui ne savait résister à aucune de mes demandes, m’amenait sur le talus bordant le canal de Craponne, là où les martillères retenaient les cadavres gonflés et entremêlés de brebis et de chiens crevés. Première connivence, si arlésienne, que cette fascination pour la mort la plus triviale.
Un peu plus tard, le prestige, de loin, t’auréolait déjà, bien qu’Arlésien parmi les Arlésiens. Un succès diffus, pressenti, chuchoté. Le musée d’Art moderne de New-York était loin du Museon Arlaten mais tu venais d’être le premier photographe français à y être exposé et triompher, comme triomphe un torero sortant « a hombros » par la grande porte des arènes.
Lucien, j’ai l’impression que tu regards, de là où tu es déjà avec tous les plus « illustres », parmi les « figures », par-dessus mon épaule, ce que je suis en train d’écrire, comme pour te garder « nôtre », vivant parmi les tiens, et avoir moins de peine à l’approche des « cinco dela tarde » où tout à l’heure tu t’en iras un peu vers chez Lorca, Mejias et les autres, Cocteau, Picasso, aussi.
Comme tu nous as tous rendus plus que fiers en nous les amenant ces deux-là avec Yolande !!!
J’aurai grandi à travers tes images. Rétrospectivement je me rends compte que chaque « période » de ton œuvre illustrait chronologiquement les épisodes de mon existence, comme autant de passages initiatiques. Tes « saltimbanques » auxquels je m’identifiais car ils avaient mon âge et le même pouvoir d’évasion (« escapisme » disent joliment les Anglo-Saxons!!!) que tes « gitans », parmi les ruines d’un Arles martyrisé et encore aveugle où l’herbe commençait à repousser sous les pieds des enfants.
Puis la « tauromachie », « Tauromaquias » plutôt, tant tu t’inscris dans la lignée des Goya et des Picasso. Et ton « drame du taureau », re-visionné récemment, et partagé comme, plus qu’une court (très court!)-métrage, un des plus grands films que je connaisse, aussi « disant » que la plus grande tragédie grecque.
E les sables terres et pierres de Camargue, à l’infini, où s’imprimaient et s’imprégnaient tous nos mirages et questionnements.
La mer enfin et la naissance des Vénus, les nus et les vagues, au moment où en découvrant ton travail nous ne nous sentions plus enfants mais adolescents, adulescents, adultes presque. Avec, en ces années glorieuses, le privilège d’être un peu, juste un peu plus proche, un pied de l’autre côté du miroir, à l’envers du décor, grâce à la complicité de Wally, muse parmi les muses, fidèle parmi les fidèles. Et « Née de la vague » fut mon premier cadeau à Françoise lorsque nous nous sommes rencontrés à Paris.
Les « Rencontres », à la même époque, s’envolèrent vite vers les sommets. Vous gravissiez ensemble les marches de la renommée. Tandis que mois j’e m’attaquais à celles de Rastignace, me mesurais à Paris et au théâtre de la mode. Jusqu’à avoir, étrangement, car ce n’était pas le but, mon nom, après Louis Féraud, sur une façade du faubourg-Saint-Honoré, un « dé d’or » à la clef. Tu m’as alors invité à montrer ma collection au théâtre antique en clôture des Rencontres de 88. Consécration bien supérieure à mes yeux à celle des podiums de Paris, New-York et Beverly Hills. Je nous revois, préparant cet événement sous une pluie battante, qui épargna finalement la soirée, comme vingt ans plus tard.
L’amité était née, nous étions en famille et nous avons entretenu ce lien tout un quart de siècle d’échanges, de complicités, de pudeur, de rires, d’hommages réciproques, de longues conversations où je t’écoutais, jubilant, dévider l’écheveau infini de ta mémoire, de « ta geste » unique, de ton histoire, de tes histoires jamais recommencées, intarissables. C’est de ce conteur que demain je me sentirai peut-être le plus orphelin. Car les images sont là, intangibles. Mais les paroles non dites encore seront tues pour jamais, telles une bibliothèque qui aurait brûlée. C’est ce qu’on disait, dans l’Antiquité, des vieillards qui disparaissaient.
Vieux tu n’auras pas eu vraiment le temps de l’être. Un jeune vieillard disons, en pantalons roses et mocassins mauves au profil de médaille.
Des médailles tu en as reçues, pinacles de décorations. Apothéose sous la Coupole, avec cette épée dont tu me confia la création pour mon plus grand bonheur, mon plus grand honneur, et ces broderies de chêne et d’olivier aux feuillages si dithyrambiques à ton plastron que l’Académie me reprocha cette générosité un peu hérétique. Tu étais devenu notre empereur, après César et Constantin. La rue Aristide Briand était ton palais où aller à la source de ton travail, en presqu ‘archéologue guidé par Anne et Dreuillhe, orpailleurs de séries inconnues ou inmontrées, à exposer/partager passionnément. Cet été encore à la chapelle de la Charité ou l’an dernier à Montmajour avec une de tes plus sublimes séries, les tombes creusées dans le roc à l’Apic de la Tour.
Il serait trop facile de voir là quelque signe prémonitoire que ce soit. Tant la mort, comme l’intense vie du corps des filles, occupa ton chemin. C’est ce que, je m’en souviens, je t’ai dit, te soutenant par la main et les bras pour quitter Réattu, ce jour de faiblesse qui aurait dû être un jour de liesse, trop peu de mois après le matin où tu me confias, le souffle court, cette ombre qui planait sur ta poitrine. Tu m’as dit ta résignation et je t’ai dit que tu ne faisais qu’entrer vivant au cœur même de ton œuvre. On ne croit pas à l’immortalité des Académiciens, mais on l’espère. Pendant les discours d’hommage et d’anniversaire, quelques heures plus tôt, l’ami Vauzelle s’étonna, au micro, ému et donc faussement léger devant le propre émoi de l’assistance te découvrant si fragile, de m’apercevoir à moitié caché derrière un pilier. C’est que mes larmes coulaient déjà.
D’autres discours viennent de prendre fin à Saint-Trophime, les grandes orgues et les fleurs blanches t’ont accompagné à la sortie. Dix-huit heures, c’est l’heure de prendre un verre autour de Yolande, Olivia, Anne, tes amis, de « raconter ». Si j’étais là, dans votre belle maison qui en a tant vu, je rappellerais ce joli mot très drôle que tu avais eu, regrettant parfois le peu de reconnaissance que certains ont pu te témoigner : « si j’avais été boucher, Arles ne serait pas la capitale de la photographie, mais la capitale de la boucherie ». Je t’embrasse.
Christian Lacroix