Les 19 clichés sont exposés dans un couloir de la maison centrale d’Arles que les détenus sont obligés d’emprunter pour se rendre aux salles d’atelier. Et ceux qui ne sont pas incarcérés dans ce bâtiment auront aussi la possibilité de voir l’exposition. photos O. Quérette/ektadoc/ville d’Arles.

Un homme, en côte de maille de chevalier médiéval, fait face à l’objectif. Un autre, en ciré de marin, semble affronter une houle violente. Celui-là,  totalement enveloppé, comme dans une chrysalide, pose dans un jardin fleuri. Un autre, les yeux fermés et l’air serein, semble ignorer le fracas d’assiettes qui se brisent. Rien n’est anodin, tout a un sens. Car ces images ont toutes été pensées et construites avec la collaboration active des modèles, des détenus de la Maison centrale d’Arles. Les 19 photos sont exposées, depuis le 28 juin 2019, au sein de l’établissement pénitentiaire et en même temps, dans le cadre du festival Les Rencontres de la photographie(1). Si réaliser des photos en prison et notamment dans cette prison-là, l’une des plus sécurisées de France est déjà un exploit, l’exposition qui est aujourd’hui proposée est un événement.  La maison centrale d’Arles figure dans les 35 lieux d’exposition du festival et à titre tout-à-fait exceptionnel, accueillera du public pendant la première semaine du Festival (2).

Christophe Loiseau, le photographe qui a mené le projet et Jean-Michel Gremillet, l’initiateur de cette aventure qui finit par une exposition du programme des Rencontres de la photo. photo O. Quérette/ektadoc/ville d’Arles.

Mais l’intérêt de « Droit à l’image » -le nom de l’exposition- est ailleurs. Il est dans ce travail mené depuis plus de deux ans par le photographe Christophe Loiseau, avec le soutien de la direction interrégionale des services pénitentiaires Sud-Est, des services pénitentiaires d’insertion et de probation et de l’association Culture & Liberté, et de son président, Jean-Michel Grémillet ; le  » bon génie » à l’origine du projet. Au début, ce ne devait être qu’un atelier autour de la photographie. le but n’était pas de réaliser un reportage sur la vie carcérale, mais de proposer aux détenus, à partir de l’image que chacun a de lui-même et de l’image qu’il veut donner, une « histoire portrait. » « Il faut savoir que les détenus n’ont pas le droit de prendre des photos d’eux-même ou de leur environnement,  explique le photographe. Certains sont avides d’avoir des images d’eux-mêmes. Je leur ai proposé d’aller plus loin, d’exprimer un état d’esprit, des sentiments, des sensations. » Tout a commencé donc par de longs entretiens, menés avec chacun des volontaires. « On a plus parlé d’images que fait des photos » souligne Christophe Loiseau.

Certains ont voulu faire ressentir leur rapport au temps – une donnée essentielle de leur vie quotidienne- comme ce monsieur, qui s’est placé sous un sablier. Le chevalier dans sa côte de maille pose dans la cour de promenade du quartier disciplinaire : son attitude renvoie à sa façon de résister à l’enfermement. D’autres, comme ce cuisinier sanglé dans son impeccable tablier blanc, voulait parler de son changement d’orientation professionnelle : « J’étais coiffeur, je suis en formation pour devenir cuisinier, explique l’intéressé. Je suis aussi très maladroit : d’où l’idée des assiettes cassées. Mais avez-vous remarqué que ce fracas ne semble pas m’atteindre : c’est aussi le signe de mon cheminement intérieur par rapport à la détention. »

Très impliqués, les modèles ont réussi à surmonter la difficulté à se montrer. Et à livrer, finalement, une part d’eux-mêmes bien souvent ignorée de leur entourage. Ils ont aussi été des assistants motivés, participant à l’installation des éclairages, à la mise en place des éléments de décor et de costume. Une tâche particulièrement importante car aucune image n’a fait l’objet de « trucage ». « Ce fut d’une grande richesse pour nous, raconte l’un des participants au nom de tous les détenus.  Accueillir des intervenants nous permet de maintenir très important un lien avec l’extérieur. C’est aussi un moyen de nouer des relations différentes avec les surveillants et la direction. » Certains des détenus ont d’ailleurs suivi une courte formation de médiateurs, avec les Rencontres de la photographie, et guideront les visiteurs qui viendront découvrir « Droit à l’image » la semaine prochaine.

Sam Stourdzé, le directeur des Rencontres, a déclaré voir « une vraie collaboration entre le photographe et les modèles dans les clichés exposés. » Photo O. Quérette/ektadoc/ville d’Arles.

Comme tous les ateliers proposés aux détenus de la maison centrale d’Arles (théâtre, écriture…), et de tous les établissements pénitentiaires, celui-là porte aussi une vocation de réinsertion, comme l’a souligné le directeur fonctionnel du Service Pénitentiaire d’insertion et de probation des Bouches-du-Rhône. Les premiers visiteurs, accueillis lors de ce vernissage, ont tous été impressionnés. Corinne Puglierini, directrice de l’établissement s’est dite « époustouflée par le résultat ». Sam Stourdzé, le directeur des Rencontres, a souligné « la qualité des photos, la justesse des modèles. On sent une vraie collaboration. Cette exposition nous montre qu’une image se construit et se raconte. » Elle a aussi le pouvoir de passer outre les apparences, de délivrer une vérité, d’ouvrir les imaginations.

(1) A Croisière, boulevard Emile-Combes. Du 2 juillet au 23 septembre.

(2) Il n’est plus possible d’obtenir des demandes d’accès délivrées par l’administration pénitentiaire.