
Nicolas Mathieu était à Arles pour une lecture musicale de son livre. Photo Bertrand Jamot.
Nicolas Mathieu, lauréat du dernier prix Goncourt grâce à son roman « Leurs enfants après eux », était à Arles ce mardi 19 décembre pour une lecture musicale à la chapelle du Méjan. Lié à la ville via sa maison d’édition Actes Sud, il s’est confié juste avant de monter sur scène.
C’est la première fois que vous venez à Arles auréolé du Goncourt…
Oui, et c’est toujours un plaisir de venir ici. J’étais déjà là il y a quelques mois pour présenter le roman, et j’avais eu la chance de découvrir la ville et rencontrer ses habitants. J’en avais aussi profité pour suivre les matchs de la coupe du monde depuis les terrasses de café !
Vous étiez aussi venu il y a quelques années quand vous aviez gagné le prix littéraire de la Roquette, dont le jury peut s’enorgueillir de vous avoir découvert avant tout le monde…
(Rires) C’est vrai ! Mais le premier à m’avoir découvert c’est quand même Manuel Tricoteaux, mon éditeur chez Actes Sud.
Quelle part de votre succès devez-vous à la maison d’édition arlésienne ?
Je lui dois deux choses. D’abord, d’avoir été le seul à me répondre parmi les dix éditeurs auxquels j’avais envoyé les manuscrits de mon premier roman. Ensuite, d’avoir pu compter sur l’envergure et la force de frappe d’Actes Sud pour le Goncourt. Parce que pour gagner ce Prix, il faut un alignement parfait des planètes mais avant tout avoir une grosse maison derrière soi.
Vous pensiez avoir une chance de gagner ?
Carrément pas. J’ai été très très surpris. Actes Sud avait déjà gagné le Goncourt l’année précédente, sa patronne était encore ministre deux semaines plus tôt, dans la presse c’était un autre qui était donné favori… Je m’attendais à revenir bredouille.
Vous dites que vous avez commencé à écrire pour devenir quelqu’un. C’est réussi…
Quand je dis « devenir quelqu’un », c’est devenir quelqu’un d’autre, sortir de mon milieu d’origine. Je n’ai pas commencé à écrire pour avoir du succès, un statut, mais pour prendre des distances avec mon milieu. Et finalement j’ai trouvé mon sujet, mon rythme, la bonne manière d’écrire quand j’y suis revenu. Je n’ai jamais écrit pour gagner le Goncourt, c’est un conte de fée qui me tombe dessus. J’ai écrit parce que j’ai des comptes à régler avec la vie, parce que j’ai envie de faire des beaux livres, pour plein de raisons d’ordre politique, esthétique ou éthique, mais pas pour devenir une vedette.
Est-ce que le livre a une dimension autobiographique?
Oui, en partie. Il parle de lieux et d’un monde que je connais.

« Leurs enfants après eux » est le deuxième roman de Nicolas Mathieu.
La critique sociale du livre trouve-t-elle un écho dans le mouvement des gilets jaunes ?
Bien sûr. Le roman se passe dans les années 90, mais il y a des personnages qui 25 ans plus tard pourraient endosser un gilet jaune. Je crois que le roman donne des clés sur le dépit qui peut provoquer ces convulsions sociales. Sur la quatrième de couverture, il est écrit qu’il s’agit de la France loin des comptoirs de la mondialisation, prise entre le déclin et la nostalgie, la décence et la rage. Ça décrit bien la France qui a manifesté ces dernières semaines.
Vous dites vous-même écrire « pour rendre les coups », et que la colère est un moteur…
Oui, l’écriture est une manière de rendre les coups, de surmonter des paradoxes, d’habiter le monde. Moi qui me sens de nulle part, quand j’écris, j’ai quelque part où habiter. Et le succès du livre m’apporte ce sentiment que tous mes efforts n’étaient pas vains. J’ai été très longtemps hanté par la crainte de m’être fourvoyé en écrivant, d’être un raté qui m’investissait là-dedans à fonds perdu. Quand j’ai été publié, cela a été un grand soulagement. Maintenant, avec ce Goncourt, ma question est de savoir que faire de cet écho dont je bénéficie désormais, du poids inédit dont est chargé chacun de mes mots.
Quand vous avez reçu le prix vous avez dit vous sentir « comme un lapin dans les phares d’une voiture ». Ça va mieux maintenant ?
(Rires) Oui car c’est une exposition qui va en décroissant, mais les premières semaines c’est assez brutal, donc il faut absorber ce choc-là. On est très sollicité, les regards sur vous changent, le rayon d’action du roman change. Là ça va mieux, je suis juste fatigué…
Comment donneriez-vous envie de lire le livre à ceux que le Goncourt n’a pas encore convaincu de le faire ?
Je ne sais pas si c’est à moi de les convaincre. J’écris des livres, je ne sais pas si c’est moi qui dois les vendre. Mais je dirais que ce qui est souvent reproché au livre c’est sa noirceur, un certain fatalisme, or c’est une vision que je réfute. Il y a des personnages qui se battent, ils désirent, ils espèrent très fort et sous une apparente noirceur, il y a quand même beaucoup de vie qui passe.
On vous reverra bientôt à Arles ?
Bien sûr, la maison mère est ici ! C’est ici qu’Actes Sud est né et j’y reviendrai forcément, c’est là que ça se passe.

Nicolas Mathieu sur la scène de la chapelle du Méjan, accompagné par le musicien Florent Marchet. Photo R.V. / Ville d’Arles