Un faux pompiers donne des consignes aux faux sinistrés. Photo R.Boutillier / Ville d’Arles

Il n’y avait ni compétition sportive ni loto, ce week-end, au gymnase Lamour. Pas de ballon qui roule ni de scooter à gagner mais un dortoir de fortune de 100 lits, un poste de secours, une cuisine où s’empilent 90 kilos de patates, de betteraves et d’oignons, un PC sécurité et du monde, beaucoup de monde, jour et nuit. On pouvait y croiser des bénévoles de la Croix Rouge, des pompiers, des comédiens, des vrais et des faux journalistes et des dizaines de citoyens lambda. Tous participaient à (Une Nuit), manifestation sur le thème de la crue, quelque part entre la simulation de catastrophe, le cours magistral et le spectacle vivant. « Une aventure artistique autour du risque inondation » était la définition choisie par « La Folie Kilomètre », collectif de création en espace public qui organisait l’événement après avoir remporté un appel à projet lancé par le Plan Rhône. À ceux qui ont accepté de se prêter au jeu, ses membres avaient donné rendez-vous ce vendredi soir à la piscine Guy-Berthier, avant de les évacuer vers le gymnase, où le décor « hébergement d’urgence post-inondation » – plus vrai que nature – était planté.

Plus de 200 personnes ont dormi dans le gymnase ce week-end. Photo R.B. / Ville d’Arles

On s’y croirait presque. Sauf que l’ambiance ne se veut pas anxiogène, car l’objectif n’est ni la fidèle reconstitution, ni l’exercice militaire. « Loin de chercher à réaliser une simulation la plus réaliste possible, le but est de s’immerger dans des enjeux réels, portés par une mise en récit artistique, éclaire Aurore de Saint Fraud, chargée de communication de La folie kilomètre. On mêle le côté artistique, le côté convivial et le côté scientifique, avec un curseur qui se déplace au fil de la soirée. Chacun en ressortira ce qu’il veut.»

Jean-Luc Masson et Hervé Schiavetti, lors de la cellule de crise. Photo R.B. / Ville d’Arles

Lors d’une cellule de crise avec talkie-walkie mais sans stress, des représentants du Symadrem (Syndicat mixte d’aménagement des digues du Rhône et de la mer), de la DDTM (Direction Départementale des Territoires et de la Mer) et de la Ville d’Arles ont détaillé les scenarii d’inondations possibles, et leur rôle au fil des étapes de la crue. Présent sur place, le maire Hervé Schiavetti loue les vertus de la chose : «  Ce qui était très marquant lors des inondations de 2003, c’est qu’elles ont surpris tout le monde, comme si on avait perdu le souvenir de la crue de 1993. Alors c’est très bien d’entretenir la culture du risque d’inondation à travers un spectacle comme celui-là, qui a le mérite d’attirer des jeunes». Jean-Luc Masson acquiesce. «Aujourd’hui, cette conscience du risque de crue semble de nouveau s’étioler, donc une piqûre de rappel est bienvenue » se félicite le président du Symadrem.

Les membres de la Croix rouge ont joué leurs propres rôles. Photo R.B. / Ville d’Arles

« L’avantage de cette forme de pédagogie, c’est qu’elle touche un public différent, enchaîne Paloma Mouillon, qui travaille sur le risque inondations au sein du Conservatoire du littoral. (Une nuit) ne se veut pas est pas catastrophiste, mais au contraire ludique, avec une ambiance chaleureuse, un bon repas, et même un peu de poésie ». Les spectateurs, qui pour la plupart jouent le rôle de sinistrés et dorment sur place, sont venus en nombre. « La démarche m’intéresse. Non pas pour me faire peur, mais par curiosité, pour vivre cette situation très particulière que beaucoup de gens ont connu » explique Maël, un géologue venu de Marseille avec ses deux garçons de 8 mois et 4 ans, visiblement pas perturbés par le contexte. À côté d’eux, Elodie raconte avoir déjà vécue l’expérience d’une catastrophe naturelle. C’était une tempête dévastatrice, alors qu’elle faisait du camping, dans le Loiret. « Cette fois, il y a de la distance, mais c’est salutaire. Et puis j’avais envie de voir comment des artistes pouvaient traiter le sujet ».

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Les nuits dans les gymnase et les couvertures de survie, Antoine Demaison aussi connaît. Pas en tant que sinistrés, mais en tant que président de la Croix rouge d’Arles. « En 2003, j’avais passé huit nuits d’affilée dans les hébergements d’urgence de la ville » témoigne celui qui a vécu les grandes crues de Nîmes, Vaison-la-romaine, et plus récemment, de l’Aude. « C’est très bien de sensibiliser le gens. Dès qu’on m’a parlé de se projet, j’ai foncé. ». Dimanche matin, Antoine Demaison a démonté la tente de la Croix rouge installée dans le gymnase, après avoir joué son propre rôle pendant un jour et deux nuits. Réveillés par une sirène, les spectateurs, eux, ont visité le Chaland Arles Rhône 3 au Musée départemental d’Arles antique et partagé un petit-déjeuner au bord du Rhône. Puis (Une nuit) a tiré le rideau, après deux représentations et 34 heures de spectacle.