
Le philosophe Francis Wolff – professeur émérite à l’Ecole normale supérieure – sera vendredi 21 février à l’Ecole taurine d’Arles pour présenter le livre de Pierre Vidal Francis Wolff, moment de vérité, puis au cinéma Le Méjan pour la projection du film Un philosophe dans l’arène. Avant ces deux paseos arlésiens, le plus brillant défenseur de la tauromachie a répondu aux question de Arles Info.
Comment est né ce film ?
Il y a environ cinq ans, j’ai été contacté par un réalisateur mexicain, Jesus Muñoz. Il voulait faire un documentaire sur un aspect de la culture latine et, alors qu’il n’est pas aficionado, il avait pensé à la tauromachie. Étant tombé par hasard sur mes livres, il est venu en France pour me rencontrer et m’expliquer son projet, auquel j’ai d’abord été très réticent. Il voulait faire un film sur mon rapport à la corrida, parce qu’il trouvait intéressant qu’un philosophe français s’intéresse à cette pratique. Progressivement, je me suis laissé convaincre. Il y a eu un an de repérage puis douze semaines de tournage réparties sur un an, dans trois pays (France Espagne, Mexique) et 12 villes, dont Arles.
Dans quel genre peut-on classer le film ?
On pourrait le qualifier de documentaire scénarisé, avec des textes que j’ai écrits, des rencontres, des moments amusants, dramatiques, théâtraux… Ce film est l’entrecroisement de deux regards : celui de cinéastes étrangers à la tauromachie qui essaient de comprendre la passion du philosophe pour la corrida, et le regard désabusé de ce dernier vis-à-vis d’une pratique condamnée à mourir. Les uns cherchent à comprendre une passion, et l’autre à comprendre pourquoi cette passion semble de plus en plus menacée par la modernité, pourquoi cette relation très particulière avec l’animal sauvage est en train de disparaître, pourquoi ce rapport à la mort est en train de disparaître.
« L’élevage industriel transforme les animaux en objets sans valeur. La corrida, c’est tout le contraire. »
Francis Wolff
Qu’est-ce qui vous fait dire que la corrida est condamnée à mourir ?
Elle l’est d’abord parce que toute œuvre humaine est destinée à mourir. Aussi parce qu’elle survit actuellement dans des sociétés qui peuvent de moins en moins la comprendre, et l’assimilent de plus en plus à une pratique barbare et archaïque. Mais évidemment je ne souhaite pas sa mort et j’espère mourir avant elle. On constate, qu’en France, elle résiste beaucoup mieux qu’ailleurs et c’est une bonne chose pour quiconque défend la diversité culturelle et la résistance des cultures latines et méditerranéennes contre l’uniformité culturelle qui partout menace. Si un jour il n’y a plus de public, ou de jeunes gens prêts à risquer leur vie, ou de toros de combat, la corrida disparaîtra progressivement, de mort naturelle. Ce qu’il faut éviter, c’est un assassinat qui vienne de l’extérieur, par des gens qui ne la comprennent pas.
Pourquoi semblent-ils de plus en plus nombreux ?
Parce que nos sociétés deviennent plus protectrices des animaux que des êtres humains. C’est comme si l’animalitaire avait effacé l’humanitaire. On assiste à une politisation de la question animale qui est venue, notamment, de l’écroulement de certaines utopies révolutionnaires*. On considère désormais l’animal comme la dernière victime, comme un espèce de prolétariat moderne. Or il y a une priorité, qui s’appelle l’humanité, même si je pense qu’on peut très bien être humaniste et défendre le bien-être animal. Je lutte d’ailleurs contre les formes d’élevage industriel qui transforment les animaux en objets sans valeur. La corrida, c’est tout le contraire.
Vous la défendez par passion ou par principe ?
Les deux. J’ai découvert la corrida par hasard il y a une cinquantaine d’années. C’est devenu progressivement une passion un peu irrationnelle. J’ai essayé de la comprendre et de l’expliquer, plus que de la défendre. C’est par la force des choses que je suis devenu un avocat de la corrida, parce que mes livres sur le sujet sont parus à un moment où la lutte contre la corrida s’est radicalisée, et que les aficionados avaient donc besoin de défenseurs de cette cause. On m’a fait ce costume d’avocat, un peu à mon corps défendant.
Vous reviendrez à Arles à Pâques, cette fois en tant qu’aficionado ?
Bien sûr ! Je serai ici pour la feria, d’autant que les cartels sont très intéressants, très inventifs.
* Lire « Trois utopies contemporaines » de Francis Wolff (éditions Fayard)
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