
Les corridas et les courses camarguaises sont à l’arrêt, et c’est tout le secteur qui souffre : des éleveurs aux organisateurs, en passant par les toreros et les raseteurs. Témoignages.
Les organisateurs. Après l’annulation de la feria de Pâques, toutes les arènes françaises et espagnoles ont tour à tour annoncé l’annulation des spectacles taurins jusqu’en juillet 2020. Et pour la suite ? « On est dans l’inconnu. On ne sait pas si la feria de septembre aura lieu. Est-ce qu’on aura l’autorisation d’organiser les corridas, et si oui dans quelles conditions? » s’interroge le directeur des arènes d’Arles Jean-Baptiste Jalabert, qui ne cache pas que la période est « très difficile pour tout le secteur ». Ludi Organisation, la société à travers laquelle il gère les arènes d’Arles, a pu faire face à l’annulation de la feria et rembourser les places grâce à sa bonne gestion passée, mais d’autres imprésarios sont au bord du gouffre, notamment en Espagne. « Il faut essayer de voir l’aspect positif, conclut Jean-Baptiste Jalabert, et se dire que cette crise pourrait permettre à la tauromachie de repartir sur des bases saines, avec une nouvelle génération de toreros et d’organisateurs. »
Les éleveurs. « La saison s’annonçait très bien, on avait des toros magnifiques ». Pas d’aigreur, mais des regrets pour Michel Gallon. Le ganadero arlésien devait voir 25 de ses toros combattre dans l’arène d’ici la mi-juillet. L’aboutissement de quatre à cinq ans de travail pour tout éleveur. Las : l’annulation des corridas promet à ses bêtes – comme à tous les toros de combat – un avenir très incertain, d’autant que les toros de 5 ans auront dépassé la limite d’âge pour être toréés en 2021. Mais Michel Gallon ne veut pas se résoudre à les envoyer à l’abattoir. « On espère que ça va repartir le plus tôt possible, dit-il, et que les gens n’appréhenderont pas trop de venir dans les gradins. »

Les toreros. Il allait récolter cette année les bénéfices de son excellente saison 2019. Au moins 20 paseos l’attendaient, un chiffre jamais atteint dans sa jeune carrière. Mais tout s’est envolé. Juan Leal ne voulait pas y croire, puis s’est fait une raison. « Ça ne sert à rien de pleurer sur son sort, l’essentiel c’est la santé des gens » dit-il depuis Séville, où l’Arlésien est installé. Pendant le confinement, il a continué à s’entraîner en visio avec son apoderado (son entraîneur et agent, Ndlr), et a cousu plus de 1000 masques avec sa compagne, après avoir répondu à l’appel lancé par des médecins sévillans. Depuis quelques jours, il peut de nouveau toréer en privé, dans les élevages, conformément à une autorisation du gouvernement espagnol. « Mais rien ne remplace les arènes, le public et l’habit de lumière » confie Juan Leal, qui espère que des corridas soient de nouveau célébrées fin juin en Espagne, avec un dispositif sanitaire spécial. Les autorités l’ont laissé entendre.
Les banderilleros. Tout juste rétabli d’un coup de corne reçu à l’entraînement, Morenito d’Arles voyait la saison taurine se profiler avec envie. Une cinquantaine de paseo l’attendait. Mais quelques jours plus tard, l’Espagne puis la France annonçaient le confinement, privant le banderillero arlésien de sa passion. « C’est la première fois en 20 ans de carrière que je me retrouve à l’arrêt complet, témoigne-t-il. Moi qui suis toujours sur les routes, c »est très dur de rester à la maison, d’être privé du contact avec le toro, avec le public… » Morenito s’entretient physiquement chez lui, mais a du mal à prendre la cape autre part que dans une arène. Il espère pouvoir le faire avant la fin de la saison taurine, prévue en octobre, et appelle d’ici là tout le secteur « à se serrer les coudes et à faire les efforts nécessaires pour l’avenir de la tauromachie ».

Les raseteurs. Victime d’une fracture du tibia le 13 octobre dernier dans les arènes d’Arles, Maxime Favier espérait reprendre le crochet cette saison. Mais à cause du Covid-19, le raseteur arlésien a vu son opération chirurgicale reportée, et ses rêves d’arènes s’envoler. Même s’il en vu d’autres, la période est difficile. « Quand je marche plus de 200 mètres, je commence à boiter. C’est dur dans la vie de tous les jours, alors dans celle d’un raseteur… » souffle-t-il. L’adrénaline des grandes courses lui manque déjà, mais aussi l’ambiance autour de toutes les traditions auxquelles il est attaché, et qui sont mises entre parenthèses : abrivados, fêtes votives… « Financièrement, je m’en sors car j’ai la chance de travailler à côté, mais ce n’est pas le cas de tous les raseteurs, explique-t-il. Aujourd’hui, tout le secteur est inquiet. »
Les manadiers. « Nos taureaux sont des athlètes qui, comme dans n’importe quel sport, ont besoin de s’entraîner pour rester au niveau, et dans ce contexte, c’est impossible ». Chez Frédéric Bon, comme dans toutes les manades, les taureaux dédiés à la course camarguaise sont au chômage technique. Même les arènes privées dont disposent certains élevages ne suffisent pas à pallier l’annulation des courses camarguaises pour faire courir les meilleurs taureaux : elles sont trop petites, et les raseteurs sont – comme tout le monde – limités dans leurs déplacements. Les manadiers s’attendent donc à perdre une saison, avec un manque à gagner très important pour certains, et des taureaux qui ne seront pas forcément au top de leur forme quand les arènes rouvriront. « Et puis certains auront vieilli comme mon taureau Trancardel. Cette année il aurait fait au moins six courses, mais 2021, il aura 15 ans, et ne sera plus en âge d’en faire autant » exlique Frédéric Bon. Qui espère que cette saison blanche aura au moins un mérite : que la course camarguaise – qui traversait déjà une crise institutionnelle – en profite pour repartir du bon pied.